Le 4 novembre, l'équipe Afropop a interviewé Fally Ipupa, un des artistes les plus célèbres de la musique populaire congolaise, dans sa chambre d´hôtel au Waldorf Astoria. Fally et son groupe F´Victeam se sont produits sur scène le soir suivant, 5 novembre, à Symphony Space. Photos par Sebastian Bouknight. Alejandro Van Zandt-Escobar et CC Smith ont beaucoup aidé avec ce texte en français.
Morgan Greenstreet: Donc, vous avez plusieurs appellations, un c’est “Trois Fois Hustler.” Ici à New York, on connait le hustle de New York, mais je voulais savoir, comment c’était votre hustle quand vous étiez jeunes, à Kinshasa, au début de votre carrière?
Fally Ipupa: Comme à New York, mais c’était dur quand même. On a travaillé dur pour devenir les artistes connus aujourd’hui. On a commencé à Bandal, c'était du vrai hustling, parce que bon, à cette époque là, il n’y avait pas d’internet, il fallait travailler, et c'était compliqué pour passer à la télévision, il fallait donner à fond. Voilà, donc, aujourd’hui, grâce ã Dieu, voilà, on essaie de faire des choses ici à New York, en France, en Afrique. C’est du hustling, mais du mode Kin, quoi.
[Laughs] Et maintenant, vous êtes ici à New York avec votre group F’Victeam. Mais F’victeam c’est aussi un label, avec un nouvelle album, Libre Parcours, avec votre groupe. Comment est venue l’idée, parce que moi je trouve ça un peu unique, un peu rare et très spécial, que vous donnez la place à votre groupe, pour avoir un peu d’espace unique à eux?
Ouais, c’est important. Vous savez, la musique c’est comme l’athlétisme, il faut se passer le relais. Et on n’y restera pas éternellement, je pense qu’ un moment donné, il faut savoir pousser les jeunes, d’autres personnes, pas forcément les jeunes, mais d’autres artistes. Et puis…ouvrir d’autres portes pour d’autres artistes talentueux. Et moi, je pense que, aujourd’hui, sincèrement, je n’ai plus rien à prouver, je fais la musique par passion. La musique pour moi c’est, voilà, la musique c’est ma vie quoi. Mais il n’y a pas que moi comme artiste au Congo. Donc, voilà, il faut essayer d'inonder le terrain avec beaucoup de Congolais qui savent chanter, danser, écrire, composer, je pense que c’est la meilleure façon de promouvoir, de pousser le plus haut possible le drapeau de notre musique Congolaise.
Merci. Et c’est aussi une façon de réunir votre groupe autour de vous? Parce que, en fait, il me paraît que beaucoup de grands groupes, commes Wenge Musica, ils ont presque cassé, parce que tous les gens sont allés former leurs propre groupes? Donc c’était aussi une manière de rassembler les gens?
Non, sincèrement, je m’en fous moi que les gens quittent le group, qu’ils aillent faire leur vie, moi je m’en tape moi, c’est même pas ça le souci. Moi, je suis l’artiste, je, voila, je fais la musique d’abord parce que…Je remercie Dieu pour le talent. Les artistes, tous les artistes Congolais sont ingrats, sauf moi [Rire]. Donc, ça n’est même pas une façon de retenir les artistes, non! Au contraire, moi, mes artistes ont le droit d’aller faire des collaborations, participer dans des projets de...voilà. Moi, je ne sais pas, ma vision n’est pas celle de mes anciens, mes aînés, mes frères, ça, non! C’est juste une question de partage. Moi, aujourd’hui, j’ai créé le label pour produire des artistes, pas forcément des artistes Congolais, ou de Bandal, ou de Kinshasa, mais pour produire des artistes qui sont talentueux. Et les artistes aujourd’hui qui m’accompagnent, ils sont talentueux, ils ont réalisé un album qui a plus ou moin marché, même si ça n’a pas, voilà, cartonné jusqu’au, je sais pas, pour vendre des milliers de copies, mais ça va. Il y a des belles chansons, pour moi, je pense que c’était la meilleure façon de lancer d’abord le groupe. Et aujourd’hui, si un des artistes qui m’accompagne veut tracer son chemin, veut faire sa carrière solo, mais ça sera avec plaisir, il n’y a pas de question de retenir des artistes, moi, c’est pas ça ma vision en fait. Mais, ça reste la famille, parce que la majeure partie de mon groupe, beaucoup de membres de mon groupe, c’est d’abord, ce sont mes amis d’enfance! On a grandi ensemble, il y a des gens qui sont là, il y a des gens que je connais depuis que j’avais 10 ans. Par exemple, mon guitariste, le guitariste chef de répétition. Il y a des gens qui étaient avec moi quand j’ai commencé. Donc, d’abord, quand on dit la clique family, et tout ça.
Mais après, bon, celui qui veut faire sa carrière, il n’y a pas de question de le retenir. C’est vrai, je peux comprendre quand les gens disent que les artistes, les groupes se disloquent parce que les artistes, les anciens ne veulent pas donner la chance aux jeunes, tout ça. Meme ici il y a toujours des artistes qui quittent le group, c’est normal, mais moi, je pense que vouloir créer ce label, c’est, vouloir propulser les artistes, ce n’est pas pour les retenir. Non, ils sont pas obligés de travailler avec moi, moi j’ai ma vie, j’ai ma vision, j’ai ma carrière, ils sont là, talentueux, ils m’accompagnent. Mais si aujourd’hui ils décident de faire leur carrière, ça sera avec plaisir.
Ah, O.K. Et maintenant, vous êtes un, sinon l’ambassadeur de la musique congolaise partout dans le monde, partout en Afrique…Mais, comment tu trouves la place de la musique Congolaise maintenant, mondialement, et aussi en Afrique, parce qu’avant c'était au top quoi, et maintenant c’est plutôt la musique Nigérians, ou Afrobeats, qui inclut un peu les autres pays anglophones. Donc pour vous, c’est où la place de la musique Congolaise mondialement?
Ouais, je vais dire c’est déjà, c’est une bonne chose parce que c’est la musique africaine qui trône, que ça soit Nigériane, ou Ivoirienne, ou Sud Africaine, c’est bien, ça reste très très bien, mais bon vous savez, la musique, je vais prendre mon exemple: ça fait 10 ans que je suis là, ça fait 10 ans que je fais des tournées, j’ai à mon actif trois albums avec plusieurs singles, la musique congolaise, c’est une vraie! Elle est vraie, la musique, vous savez! Je respecte beaucoup la musique Nigeriane, parce que j’ai beaucoup d’amis, je respecte beaucoup. Aujourd’hui, on a perdu la place, je vais dire, on n’est plus le number one, mais ça se tappe, parce que…Bon, je vais dire, nous, il nous reste juste, vous savez, les autres frères ils ont l'avantage de langue, déjà ça parle anglais, et puis il y a aujourd’hui, avec le courant Afrobeats, ça marche très, très bien. Je suis vraiment content pour eux, mais bon, on est toujours là, parce que nous, si vous mettez un artiste congolaise sur scène avec un artiste Nigerian, il y aura une très grande difference, ils vont défendre leur musique, et nous la notre. Donc on ne se plaint pas, on se plaint pas, il faut juste que les artistes congolais arrêtent de polémiquer bêtement, arrêtent les futilités, focus, il faut travailler. Les Nigérians ils sont comme ça, même s’il y a des problèmes, t’inquiète pas je vous parle en connaissance de cause, parce que j’ai beaucoup d’amis, comme j’ai dit, Nigérians, il y a toujours aussi des petites guéguerres. Mais, au moins ils mettent de l’intelligence dans leurs bêtises. Voilà, il est temps que nous, les artistes congolais, les artistes congolais se respectent mutuellement. Moi je pense que musicalement, par là, on est bons, on est bons. Sincèrement, moi je vais pas dire qu’on est parmis les derniers, moi je ne suis pas parmis les derniers en tous cas. Si tu te mets en studio pour enregistrer un titre avec un artiste, il y aura toujours le côté Congolais, Lingala, voilà, qui va, qui essaie de menacer l’autre côté. Mais on respecte beaucoup nos frères. Moi, pour moi c’est bon l’ouverture, si ça soit un Ghanaian qui gagne, un Nigerian, un Ivoirien, tant que ça reste en Afrique, ça me va!
[rire] Merci. Pour moi, comme étranger, quelque chose qui m'intéresse beaucoup dans la musique congolaise c’est libanga.
Libanga! O,K., vas-y.
Je voulais savoir…
On est des précurseurs nous! Regarde, aujourd’hui même les Américains commencent à faire des dédicaces, meme nos frères Nigérians, même en Europe…Mais sauf que, ils savent pas encore que c’est payant ce truc! On est trop en avance, nous! Il y a un jour ils vont…Vous savez, il y a 15 ans, il n’y avait que des Congolais qui faisait des concerts, bon, jusqu’à aujourd’hui il n’y a que des Congolais qui font des vrais concerts "live." Tu as, moi, je suis venu avec 16 personnes! Guitare, tout ça. Et ça fait 30 ans que ça existe, cette histoire de dédicace. Vas-y, finis ta question.
Non, non, c’est un peu ça en fait! Moi je crois que dans le monde, nous les musiciens, moi aussi je suis musicien, on n’a pas les moyens pour produire notre musique.
O.K.
Ça ne se vend pas, les disques ne se vendent comme avant.
Ouais.
Donc on a besoin de quelque chose comme libanga!
[Rire].
On a besoin d’un système qui va nous payer pour continuer. Je sais que ce n’est pas une système comme ça…
Ouais.
Donc, ça m'intéresse comment ça marche pour toi comme artiste?
Ouais, ça marche bien! Vous savez, à la base, libanga c’est d’abord une manière de remercier, de reconnaître, de soutenir. À la base, c’est ça. Vous savez, quand je te fais une libanga, ça veut dire, ça ne veut pas dire forcément que tu m’as pay quelque-chose, c’est d’abord, c’est de l’affection. Et ensuite, bien-sûr, vous savez qu’ y a d’autres personnes, on a essayé de créer de, on a essayé de créer un business autour de ce libanga là. Parce qu’il y a des gens qui deviennent célèbres, qui font du business, qui marche, juste parce qu’ils ont été dédicacés, ils ont reçu une vraie libanga d’une artiste connu, et après il devient connu lui aussi, il devient star, il créé son business…en échange, il va vouloir, toujours contribuer à chaque fois que l’artiste sera en studio pour préparer son album, il voudra encore un nouveau libanga. Donc on a créé un business. Voilà, il y a des libanga gratos aussi, il y a des libangas pour remercier, il y a des libangas pour monter gratitude envers quelqu’un qui vous a aidé. Voilà, donc, c’est vraiment Congolais libanga. Moi, je suis fier d'être artiste Congolais, qui ont fait parti de, qui, voilà, qui ont fait de dédicace, des libanga, parce que je vous dis, retire le date d’aujourd’hui, dans cinq, 10 ans, la libanga ne sera pas que Congolais!
Uh huh. Et il y a des gens qui critique la sonorité de libanga, que maintenant tous les…
Oui, mais je comprends, il y a des gens qui le font abusivement. Vous savez, moi je fait des libanga mais je laisse le temps…Chacun sa façon de faire. Moi, je n’enregistre pas un album pour faire des mabanga, non, parce qu’il y a des artistes qui enregistrent que pour faire des mabanga. Là, ça devient un peu compliqué, vous savez, il y a toujours la limite de, voilà, sinon tu passes de l’autre côté de…voila, tu tues le métier. Mais nous, moi j’enregistre, mais, bien sur, j’enregistre d’abord la mélodie, les lyrics, la musique, et, ensuite, je rajoute les libangas.
Uh huh, je comprends.
Et j’essaie de le faire propre, moi, crois-moi.
Même dans les mélodies.
Voilà! Par exemple, il y a d’autres chansons ou j’ai pas fait de libanga. Mais attends, je vais te donner un exemple d’une chanson ou j’ai fait libanga même avec la mélodie [Il chante] “Gino Alcapone." Voilà, ça c’est chanter, on dira pas que ça serait une libanga, non?
Ouais! Ouais, c’est ça.
Voilà, mais il y a des gens qui font…Comment tu t’appelles?
Morgan Greenstreet.
Morgan Greenstreet [Criat] là, ça tue la mélodie, mais bon.
[Rire] Merci! Dernière question. Maintenant, au Congo, il y a un type de crise démocratique, ou on voit ça comme ça ici.
Ouais.
Comment tu trouves la place pour des artistes comme vous, qui sont des vrais artistes, et aussi très connus par leur public, c’est quoi votre rôle, ou est-ce que vous avez un rôle à jouer dans le processus démocratique au Congo?
Ouais, sincèrement, on a pas de rôle à jouer, vis à vis, ou auprès, je ne sais pas comment dire, pour faire passer un message aux politiques, mais on a un rôle à jouer pour faire passer un message à la population. Moi je le dis toujours, je suis du côté de la population. Nous, on veut que le pays soit, qu’il n’ait pas de guerre, d'insécurité, un Congo, voilà, uni, on veut un Congo bien, honorable. On est obligés! On veut avoir cette, comment dirais-je, on veut avoir de la vraie valeur! Aujourd’hui, on veut être respecté aussi, donc sur ça, il s’agit? toujours…Les politiciens doivent faire des choses bien, parce que, vous savez, a force de nous jongler, un jour, vous allez voir, il y aura un artiste qui va vouloir devenir president! Donc, voilà, moi je dis toujours, voilà, il faut qu’ils prennent leurs responsabilités, il faut pas qu’ils tuent le pays, quoi, voilà, les politiques.
Merci beaucoup!