Features June 19, 2025
The Songs of Malagasy Women: Their Side of the Story (French Language Version)

This is the French version of a previously published report on the songs of Malagasy women.

Textes et photos de Boris Paillard.

Chansons de Femmes Malagaches: Leur Version de l'Histoire

Vendredi 8 Mars 2024, journée internationale des droits des femmes et soirée mémorable pour deux hommes à Madagascar. Mon acolyte Morgan et moi transpirons devant la scène du Glacier, bar-hôtel-glacier dans le quartier animé d’Analakely de la capitale, Antananarivo. Après vingt minutes de musique instrumentale jouée au galop par son groupe, la “princesse du salegy” Vaiavy Chila prend la scène d’assaut, flanquée de ses choristes et danseurs. Nous nous frayons un chemin dans le public, entre les fans envoûtés et quelques vieux vazaha (“étrangers”) venus faire leur marché de chair dans ce haut-lieu des belles-de-nuit. De chaque côté de la scène, deux hommes se chargent au micro de hyper la foule et d’encourager les danseurs par rafales d’onomatopées. La chaleur devient étouffante, les peaux collent, les hanches deviennent élastiques et les téléphones se lèvent vers la chanteuse qui déroule ses tubes dans une ambiance électrique. Elle ne s’accordera pendant les six heures de concert que quelques pauses pour changer de costume et se remaquiller, pendant lesquelles le groupe ralentira exceptionnellement le tempo en dessous des 150 bpm habituels du salegy local.

Vaiavy Chila (“femme” Chila en malgache) nous expliquait la veille que ce spectacle du 8 Mars lui tenait à cœur : “Ce sont surtout les femmes qui aiment mes chansons parce que je leur donne le moral et que je suis de leur côté. Je leur transmets à travers mes chansons qu’il faut qu'on soit solides moralement et physiquement, qu'on n'accepte plus d'être femmes au foyer et de rester sans rien faire. Cela ne veut pas dire qu’on va se battre avec les hommes mais il faut qu’on leur impose le fait qu’on ne dépende pas toujours d’eux. Ce que font les hommes, on peut le faire aussi !”

Vaiavy Chila, salegy singer - Jao’s Pub, Antananarivo, March 2024
Vaiavy Chila, salegy singer - Jao’s Pub, Antananarivo, March 2024

C’est pour écouter les voix et vous raconter les histoires de musiciennes malgaches comme Chila que nous avons branché nos micros à Madagascar pendant un mois en Mars 2024. L’immense “île rouge” flotte dans l'océan Indien à 400 kilomètres du Mozambique. Elle est de ces îles qui souffrent de l’éloignement, la géographie jouant cruellement contre l’histoire en la reléguant dans les esprits des vazaha à la liste des endroits exotiques dont on ne sait finalement pas grand-chose. Quelques images mentales peuvent pourtant surgir à son évocation : la frimousse d’un lémurien, une allée de baobabs, une plage de carte postale. Sans parler de ce fameux film d’animation avec des animaux qui parlent. Heureusement que les malgaches aiment “move it, move it” sur des chansons bien plus palpitantes que le tube du film reprenant le hit nineties de Reel 2 Real.

Carrefour culturel, Madagascar vibre d’une musique infiniment riche et métissée, puisant dans les patrimoines austronésiens, arabes et est-africains qui ont enrichi le pays. Cette musique est omniprésente dans la vie sociale et culturelle : “À Madagascar, on peut dire que la vie et la musique ne font qu’un”, écrit l’ethnomusicologue Mireille Mialy Rakotomalala. “On peut observer une coexistence tantôt subtile, tantôt évidente, d’une culture traditionnelle et d’une culture modernisée d’influence occidentale, selon les styles et les régions." Une partie de cette musique profondément locale a pu s’exporter grâce à quelques figures tutélaires qui ont marqué le marché ce qu’on appelait la “world music” dans les années 1990 et 2000, tels que la citharède Mama Sana, les soeurs Lala et Monika Njava, le guitariste virtuose D’Gary, le joueur de valiha (cithare tubulaire en bambou) Rajery, le guitariste de tsapiky Teta, l’accordéoniste Régis Gizavo et le “roi du salegy” Jaojoby, dont on voit le sourire illuminer les affiches de pubs pour spaghettis ou savons.

Depuis, ces hommes aux répertoires imposants occupent le petit créneau « musique de Madagascar » à l’international alors que YouTube et Facebook offrent à voir depuis quinze ans une scène plus moderne, variée et surtout bien plus féminine. Notre intuition à distance est vérifiée sur place : de nombreuses artistes féminines injectent la tradition à leur façon dans la pop, le rock et le hip-hop. C’est au total vingt femmes que nous avons rencontrées à Antananarivo, Tuléar et leurs environs. Les genres dont elles se revendiquent se nomment entre autres salegy ou tsapiky et ne dépassent que très peu leurs frontières. Leurs tempos côtoient les zones fiévreuses entre 150 et 180 bpm.

Le mélomane occidental s’est pris d’intérêt ces dernières années pour la musique rapide venant d’Afrique, du Shangaan électronique sud-africain au Singeli tanzanien en passant par le Funanà cabo-verdien, faisant suer les foules d’initiés de Paris à New York. Les rythmes frénétiques malgaches continuent toutefois d’évoluer à l’ombre des hypes du continent comme de l'Occident. Ils n’ont pourtant rien à leur envier. C’est plutôt au niveau de laternarité des rythmes que cela coincerait, comme nous l’explique Eusébia, chanteuse de salegy et gérante du Jao’s Pub à Tana : “La musique ternaire, c’est beaucoup plus difficile pour les oreilles et les jambes des Occidentaux, car ils ont plus l’habitude de musiques binaires. Ils n'arrivent pas à danser dessus (rires). La musique africaine qui s’exporte bien est binaire car cela ressemble à ce qu’ils ont l’habitude d’entendre."

Eusébia, salegy singer - Jao’s Pub, Antananarivo, March 2024
Eusébia, salegy singer - Jao’s Pub, Antananarivo, March 2024

Là où d’autres artistes tentent de surfer sur les genres à succès comme la trap américaine, l’Afrobeats ghanéen-nigérian ou l’amapiano sud-africain, les malgaches honorent et triturent leurs racines, faisant pousser sur le sol fertile de leurs studios et de leurs scènes une musique endémique, à l’image de la faune et de la flore qu’on ne trouve que sur l’île. “La musique n’est pas faite pour en sortir intacte, il faut pousser les limites ! Je reste près de ma source… mais j’ouvre la porte” nous confie l’extravagante popstar Tence Mena.

Pour examiner ce phénomène, nous nous pencherons d’abord sur les parcours des femmes que nous avons rencontrées, pour ensuite nous concentrer sur les textes qu’elles écrivent et chantent, donnant à entendre le récit de leurs vies et de leur pays. Nous finirons notre panorama en évoquant les problèmes structurels auxquels se heurtent tous les musiciens malgaches.

“L’histoire de la musique dans l’humanité, c’est faire la révolution, faire passer des messages, pas que de l’amusement. Dans un pays comme Madagascar, la musique a un rôle d’éducation, pas que de divertissement” -Caylah, slameuse

Une fois qu’elles ont franchi les barrières évoquées et qu’elles accèdent au micro, les femmes se mettent à écrire et composer. Au-delà des chansons attendues parlant d’amour et de fête, les thèmes qu’elles abordent puisent directement dans leur expérience de femme. Certaines tiennent même un propos clairement féministe, ne revendiquant pas pour autant cette étiquette car la militante féministe occidentale “contre les hommes” y fait figure d’épouvantail. D’un point de vue linguistique, les chanteuses utilisent le malgache ou les dialectes de leur région d’origine tout en y insérant des expressions symboles d’une appartenance à un univers “black globalisé” dont parle l’ethnomusicologue Julien Mallet.

Black Nadia in her garden - Antananarivo, March 2024
Black Nadia in her garden - Antananarivo, March 2024

Black Nadia, auto-proclamée “reine du coupé-décalé” malgache après avoir découvert l'œuvre de l’ivoirien DJ Arafat, chantait il y a dix ans dans Le système la fierté des femmes de plus en plus indépendantes financièrement des hommes. Elle nous confie avec fierté que des femmes la remercient encore d’avoir écrit cette chanson toujours d’actualité. Dans le même esprit, Tence Mena incitait dès son premier album dans le salegy endiablé de Samy Mahery les femmes à être indépendantes : “Je voulais dire aux femmes de trouver du travail et de cesser d’attendre les hommes tout le temps à la maison, d’être soumises. Être à la merci des hommes, cela crée quand même beaucoup de dégâts. La vraie solution, c’est l’indépendance. C’est un combat jusqu’à maintenant et un message que je véhicule souvent." Son tube pop Aleko Célibat que l’on entendait partout lors de notre séjourcreuse ce sillon : “Cela raconte l’histoire d’une femme qui attrape son mec en flagrant délit avec une autre. Le message est qu’il vaut mieux vivre seule qu’avec un mec qui nous trompe, qu’il ne faut pas forcer les relations avec un homme quand ça ne marche pas."


Tence Mena, pop and salegy singer - Antananarivo, March 2024
Tence Mena, pop and salegy singer - Antananarivo, March 2024

IDans la chanson Mangina (“Ta gueule”), la métalleuse Mahalia évoque le sujet tabou des agressions sexuelles : “Les gars du groupe avaient des réserves sur le thème de la chanson mais j’ai pu l’imposer au final. C’est important d’en parler, de ne pas cacher ce fléau. Beaucoup de femmes sont victimes de violences sexuelles mais se taisent parce que le viol est vécu comme une honte et les expose au rejet parce qu’elles pensent qu’on ne voudra jamais les marier." La peur de devenir vieille fille, consacrée par la métaphore malgache du “tambour suspendu” qui n’est pas joué, est réelle.

Mahalia, singer and guitarist with the band LohArano - No Comment Bar, Antananarivo, March 2024
Mahalia, singer and guitarist with the band LohArano - No Comment Bar, Antananarivo, March 2024

Selon Audrey de l’association Malagasy Women Empowerment, les femmes subissent une véritable pression sociale sur leur statut marital dès l’âge de 25 ans. Le mariage n’est pourtant pas forcément synonyme de bonheur, comme le rappelle Tsatsiky avec Tolonan Draty : “C’est une chanson sur la violence domestique. J’y implore les hommes de ne pas taper leurs femmes, car elles sacrifient tout en quittant leurs familles pour s’occuper d’eux, des enfants, du foyer. Les hommes doivent mieux se comporter et respecter leurs femmes."

Tsatsiky, tsapiky singer in the band Mizeha - Tuléar, March 2024
Tsatsiky, tsapiky singer in the band Mizeha - Tuléar, March 2024

Bonita du groupe Mahapoteke a aussi écrit avec “Lehilahy Mangango Valy” une chanson qui parle des hommes qui maltraitent les femmes, en espérant qu’elle ait a un pouvoir de sensibilisation.

Bonita, tsapiky singer in the band Mahapoteke - Tuléar, March 2024
Bonita, tsapiky singer in the band Mahapoteke - Tuléar, March 2024

Dans Ampiakaro Grade en 2024, Black Nadia demande aux maris de donner à leurs femmes le grade militaire qu’elles méritent : “Il faut que les hommes reconnaissent et valorisent la contribution des femmes dans la vie du foyer, faire preuve d’empathie par rapport à ce que les femmes endurent au quotidien." Mahalia a elle aussi à coeur de protéger la valeur de la femme avec la chanson Andriambavitany : “Il y a trop de femmes qui se dévalorisent pour satisfaire l’égo des autres. Je veux dire dans cette chanson aux femmes qui sont “camgirls” ou prostituées contre leur gré qu’il n’y a pas besoin d’arriver à ce point pour qu’on les regarde et les valorise. Le titre de la chanson est un jeu de mots qui symbolise l’inversion des pouvoirs, le ciel devenant terre et vice-versa."

Black Nadia enflamme les réseaux sociaux en déclamant au début de son tube Mama Denja de début 2024 “Mon corps est mon entreprise”, une affirmation qui choque les pudibonds y voyant la dégradation d’un corps féminin commercialisé ou pire, l’apologie de la prostitution. Black Nadia célèbre avec cette chanson simplement son grand retour suite à l’accouchement de son troisième enfant, mettant en scène son come-back dans son clip avec un corps cintré dans du cuir moulant sur une bécane reluisante, symbole de puissance : “D’autres femmes ne veulent pas avoir d’enfants à cause des répercussions sur leur corps et leur carrière. Moi, j’aime faire des enfants et je voulais montrer que c’est possible d’être une femme artiste et mère. “Mama Denja” c’est pour dire à mes fans que je suis toujours là, prête à chanter et danser pour eux."


L’engagement politique est aussi présent dans les textes de femmes qui osent de plus en plus mettre des mots sur leurs colères et celles de leurs concitoyens. La situation politique à Madagascar est en effet préoccupante depuis que le controversé Andry Rajoelina a été réélu président de la République de Madagascar fin 2023 dans desconditions contestées par l’opposition. Nous verrons pendant tout notre voyage l’efficace merchandising orange à son effigie qu’il a disséminé dans le pays : t-shirts pour les hommes, pagnes pour les femmes et parasols pour les vendeurs de rue. Connu localement pour son passé de DJ et propriétaire de discothèques dans la capitale ainsi qu’internationalement pour ses gélules de charlatan censées protéger contre le Covid, il poursuit selon ses détracteurs sa dérive autoritaire, réprimant ses opposants et corsetant une presse qui n’est libre qu’en apparence. “À Madagascar, il n’y a pas de réelle liberté d’expression”, nous confie Caylah. ”Comme on m’a catalogué comme artiste slameuse engagée-enragée, on me demande parfois de ne pas déclamer des textes qui fâchent à certains événements, surtout institutionnels. Ceux qui sont en haut de l’échelle parlent à ceux qui te programment et parviennent à imposer que tu ne parles pas de politique ou d’avortement." Elle évoque la difficulté de résister à cette censure : “Quand tu as besoin d’argent pour vivre et que ceux qui te mettent de l’argent sur la table te demandent de taire certaines choses, qu’est-ce que tu choisis ? Être censuré ou prendre le contrat… tu fais quoi quand tu as faim ?”

Caylah, spoken word artist - Kudéta, Antananarivo, March 2024
Caylah, spoken word artist - Kudéta, Antananarivo, March 2024

Dans la chanson Bae Nosy, Mahalia crie la réalité d’une jeunesse désabusée et dépolitisée face à une situation sociale qui s’empire : “C’est tellement le bordel que les malgaches préfèrent boire et faire la fête. Les personnes stressées et oppressées se réfugient dans l’alcool." Vétérane de la scène chanson et jazz, Fanja Andriamanantena constate que la nouvelle génération d’artistes exprime son engagement politique plus directement, sans détours précautionneux par les métaphores, proverbes et sous-entendus : “C’est avec l’avènement du rap moderne que le langage s’est libéré." En atteste le courage du groupe LohArano qui dénonce dans Velirano le pouvoir en place : “Ceux qui oseront me contredire seront emprisonnés ou exécutés / Je vais vous faire bouffer une dictature démocratique”.


“On ne porte pas le poids des tabous comme les aînés, on est plus direct dans les paroles", nous dit la chanteuse Mahalia. Le métal étant une micro-niche concentrée dans la capitale, Mahalia est consciente que le groupe n’est pas ciblé par le pouvoir : “La chanson est une caricature du genre de discours que tient le gouvernement. À Madagascar où tout est difficile, on constate l’égoïsme de certaines personnes qui ont le pouvoir qui ne voient pas que le peuple est en galère. On s’est sentis rageux à la veille des dernières élections car le peuple se sent oppressé et manipulé. J’essaie de faire attention à ce que je dis, j’avoue. On pas eu de retours négatifs de gens haut placés, mais on a de la chance car normalement quand tu parles, tu te fais choper et… “ta gueule." Peut-être qu'on n'est pas dérangés car les politiciens savent que notre musique n’impacte pas un gros public à Madagascar."Le trio n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin, ayant signé comme leur compatriote Kristel avec un label et un tourneur français qui les ont emmené jusqu’aux Transmusicales : “On est très inspirés par ce qu’il se passe dans le pays. On ressent ce besoin d’extérioriser comme ça. C'est normal pour nous d’en parler, parce qu’on le vit. On ne chante qu’en malgache parce que c’est notre langue et que sa sonorité est la meilleure pour porter nos propos. La langue malgache contient en elle déjà quelque chose d'un peu agressif, ce qui a un impact sur le rythme de la musique, donc ça matche bien avec ce qu’on veut partager."

Refuser l’auto-censure et défier la censure est un parti pris risqué pour tout artiste évoluant dans un contexte autocratique. “Je pense que les femmes peuvent dire ce qu’un homme peut dire, mais elles sont moins libres sur la façon, c’est ça qui peut poser problème." nous précise Fanja Andriamanantena. La “reine du salegy” Ninie Doniah a payé le prix fort de son engagement contre la corruption, mourant à 56 ans en prison fin 2023 après avoir levé la voix trop fort et trop longtemps contre les pratiques du gouvernement. L’artiste s’est impliquée en 2021 dans un combat politique contre l’accaparement jugé illicite de terres et de ressources naturelles sur son île natale de Nosy Be. Elle s’est faite le porte-voix de paysans en conflit foncier avec des compagnies étrangères et des propriétaires terriens proches du pouvoir. Elle est condamnée à 19 mois de prison en 2022 pour “trouble à l’ordre public et atteinte à la sûreté de l’Etat” en raison de ses prises de position et l’organisation de manifestations, dérangeant ouvertement les intérêts économiques de l’Etat. Tombée malade d’un cancer, elle décède pendant un transfert sanitaire tardif à l’hôpital où elle devait être soignée.

La star de salegy Wawa s’est agenouillé sur scène en larmes lors d’un festival en 2023 pour demander directement au président Rajoelina de libérer la chanteuse pour qu’elle puisse accéder aux soins nécessaires à sa survie, une image ayant marqué les esprits. Suite à son décès tragique, il sort un medley hommage de 9 minutes, suivi dans l’exercice par le collectif que Ninie Doniah avait monté pour défendre sa cause. Des concerts-hommages sont toujours organisés en France pour la diaspora afin de faire vivre le répertoire et d’honorer sa mémoire.



La pauvreté a atteint en 2023 un niveau record à Madagascar selon la Banque mondiale, avec plus de 80 % de la population de 30 millions d’âmes vivant sous le seuil de 2,15 dollars par jour. L’inflation provoquée par la guerre en Ukraine et les difficultés d’acheminement des denrées en raison de la dégradation des routes font flamber les prix des produits de première nécessité comme le riz. Pauvreté et richesse se retrouvent donc logiquement au cœur de nombreuses chansons. Bodida, chanteuse de tsapiky au sein du groupe Mamehy, parle dans Mijale Fe Bohaboha“du quotidien des gens pauvres et les incite à fêter et profiter de la vie malgré tout." Dans son tube Bleu-Bleu, Mirasoa critique les jaloux qui critiquent ceux qui sont riches et “brillent en bleu”, évoquant la couleur du billet local de 20.000 Ariary (équivalent de 5 euros). Le groupe Milalaza traite souvent dans ses chansons des “gens riches égoïstes et arrogants qui ne soucient pas des pauvres."


Mirella Victor, tsapiky singer in the band Milalaza - Ambalaboy, March 2024
Mirella Victor, tsapiky singer in the band Milalaza - Ambalaboy, March 2024

Nina du groupe Mahafaly Mihisa s’adresse aux jeunes de sa région rurale de Betioky avec Soa Ty Mianatse, elle qui appris à chanter en gardant les bêtes dès l’âge de 12 ans : “Je veux leur dire que c'est bien de faire des études, c'est comme un héritage qui reste. Parce que si tu fais pas d'études, même si tu hérites de biens matériels, tu finiras par les vendre pour vivre. La connaissance, ça reste jusqu'à la mort."

Mirasoa voulait écrire avec Zaza Mahay Raha un hymne pour encourager les jeunes à finir les diplômes du baccalauréat et du BEPC et les féliciter : “Il manquait une chanson spéciale pour les jeunes diplômés, pour célébrer leurs accomplissements scolaires dans les fêtes de fin d’année scolaire. Il faut motiver les étudiants, c’est notre futur."

Mirasoa, tsapiky singer - Tuléar, March 2024
Mirasoa, tsapiky singer - Tuléar, March 2024

Madagascar étant un pays où 66 % de la population vit en milieu rural et où l'agriculture représente 26 % du PIB, la ruralité est un sujet important qui trouve son chemin dans les textes de chansons. Mirasoa signe avec son tube de tsapiky ternaire Valala une chanson sur l’anatomie du criquet, (“un ventre comme un accordéon, des pieds comme des scies”) et chante avec Aomby un hymne à la gloire du zébu, boeuf à bosse emblématique de l’île et signe extérieur de richesse pour ses propriétaires. On se souviendra longtemps des deux têtes de zébus ornant la scène d’un spectacle de Black Nadia dans le cadre d’une levée de fond pour sa ville native de Fort-Dauphin, le sang coulant sur les haut-parleurs pendant le spectacle.


Pour celles qui ont quitté le village pour la ville, il est important de montrer leur attachement à la tradition. AvecAmbanivolo d’origine, Black Nadia rappelle en tenue traditionnelle qu’il ne faut jamais oublier d’où l’on vient : “Nous les malgaches on a tous notre “ambanivolo” [brousse], mais quand on arrive en ville pour travailler, on oublie vite la campagne. Cette chanson veut montrer que je suis consciente de mes racines." Vaiavy Chila a aussi dans son répertoire une chanson qui célèbre la musique traditionnelle et ses origines de Port-Berger, Zahay Tsy Laninareo : “Je voulais avoir une mélodie authentique et porter les tenues et les cheveux comme au village dans le clip."

Elles sont loin, mais elles sont là. Partout à Madagascar, les musiciennes modèlent les mots et les sons à leur image, faisant transparaître leurs personnalités, sensibles à leurs racines et artisanes de modernité. Les archives de la radio nationale sont certes parties en fumée en 2009 suite à des émeutes, mais la musique du futur se trouve quelque part sur les murs Facebook de Madagascar. Le pays fait toujours face à d'innombrables défis mais si sa musique pouvait s’exporter aussi bien que son cobalt, sa vanille et son poivre, cela donnerait aux musiciens des perspectives de développement artistique et de nouvelles sources de revenus. Gany Gany résume la situation sans ambages : “Quand tu sors d’ici, tu gagnes mieux ta vie."

Gany Gany, tsapiky singer in the band Damily - at home in Tuléar, March 2024
Gany Gany, tsapiky singer in the band Damily - at home in Tuléar, March 2024

La chanteuse Fanja Andriamanantena jubile du potentiel immense de la nouvelle génération : “On existe maintenant, et on existera toujours. On existe aussi par ce que nous promet l’avenir sur le plan musical. On est prêts, on est déjà bons pour le futur ! La musique peut jouer un rôle important dans le développement économique du pays. Il manque juste assez d’organisations pour la faire connaître, ici comme à l’étranger. Il y a plein d’artistes talentueux qui veulent faire carrière mais on a personne pour s’en occuper. On manque de visibilité, personne ne sait ce qu’on fait à l’international, les malgaches sont écoutés par des malgaches. Il faut que les découvreurs de talents viennent et nous entendent. Ils vont être bluffés !” Mahalia ne perd pas espoir : “Je vois des jeunes dans la scène underground qui font de l’art conscient et qui essaient de faire bouger les choses en passant des messages. La pauvreté fait que parfois on se perd, mais je trouve qu’il y a beaucoup de femmes artistes qui arrivent de plus en plus à s’émanciper." Sergino de la Radio des Jeunes partage cet optimisme : “Même si les hommes sont généralement plus connus, une femme émerge avec son empreinte à chaque époque de notre histoire musicale."

Les modèles féminins de femmes fortes et indépendantes ont un impact sur la nouvelle génération comme nous le dit Audrey de Malagasy Women Empowerment, désormais basée à Paris : “Quand j’ai grandi à Madagascar, je n’étais pas heureuse d’être une femme, il y avait beaucoup d’injonctions et trop peu de soutien. Des chanteuses comme Hanitra de Tarika ou Bodo, qui s’engageait contre la corruption à l’époque, m’ont montré le chemin." Elle nous évoque l’importance d’une chanson de la malgache Niu Raza qui vit aux Etats-Unis — Mamay — sortie “à un moment où les femmes malgaches en avaient besoin”, devenue un hymne de ralliement pour la diaspora qui peut chanter sa fierté d’être malgache malgré les problèmes au pays : I come from far: my home called Madagascar / My people sing when they work hard / We low on cash but we got heart..."


Afropop After 37 Years, We’re Charting a New Course